En temps normal aussi totalement oublié que les autres antiquaires et collectionneurs de la fin du XIXième siècle qui ne donnèrent pas leurs noms, comme Guimet ou Cernucchi, à des musées, le nom d'Eugène Boban a soudain circulé cette année avec la sortie de "Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal". Car le film a suscité un regain d'intérêt pour les crânes de cristal présents dans diverses collections muséales, et, dans la foulée, pour les antiquaires par les mains desquelles ils sont passés, comme Eugène Boban. Ainsi même les très sérieux Musée du Quai Branly ou British Museum ont ressorti leurs crânes de cristal et se sont fendus de communiqués, de pages de leurs sites, voire d'expos, pour faire événement au moment de la sortie du film de Spielberg, et attirer le chaland. Malheureusement pour Boban, il devient parfois la victime de tout ce remue-ménage, puisqu'il endosse le rôle du faussaire ou vendeur de faux qui aurait abusé de leur crédulité des musées !


Le crane de cristal du British Museum

De qui s'agit-il ? L'homme se fait connaître vers 1865 au Mexique, alors sous contrôle français, puisque Napoléon III, aux volontés expansionnistes, avait fait nommer Empereur du Mexique un prince autrichien, Maximilien, devenu du coup son débiteur. Antiquaire et collectionneur, Boban achète ou récupère après des travaux de terrassement des artefacts archéologiques, qui pour la plupart prennent le chemin de l'Europe. Dans certains documents, il est présenté comme « antiquaire de l’empereur Maximilien ». En 1865, le ministère de l’Instruction publique français lui demande d’envoyer des pièces pour l’exposition universelle de 1867. En 1869, il est membre de la Société d'Ethnologie. Vers 1870, il s’installe à Paris et continue une carrière d'antiquaire fructueuse pendant plusieurs décennies, puisque des pièces passées par ses mains nourriront les collections des musées de Rouen, d'Angers ou du Musée de l'Homme qui deviendra plus tard le musée du Quai Branly, selon un long article muséologique de la chercheuse française Pascale Riviale titré Eugène Boban ou les aventures d’un antiquaire au pays des américanistes, dans lequel elle écrit : "Pour la plupart de ses contemporains, il (Boban) semble avoir joui d’une grande réputation de connaisseur et de marchand au service de la science, réputation d’ailleurs grandement confortée lorsqu’il publia un ouvrage très érudit sur la collection de manuscrits de M. Goupil (Boban 1892). Ernest-Théodore Hamy, le premier directeur du musée d’Ethnographie du Trocadéro, avait apparemment pleinement confiance en lui (il fit appel à ses lumières pour la préparation de la publication des travaux anthropologiques de la commission scientifique du Mexique en 1884), comme nombre de ses pairs qui avaient si souvent recours à lui pour enrichir leurs collections préhistoriques et ethnographiques. Sa clientèle était en effet composée tant d’amateurs « éclairés » que de professionnels unanimement reconnus et tous – ou presque – avaient en commun de s’en remettre à Boban pour leur procurer de « belles » pièces."

Malheureusement, ou peut-être fatalement, il y eut parmi les milliers de pièces que Boban négocia des faux, comme il en circulait déjà de façon endémique au Mexique depuis les années 1860. Et Jane Walsh, anthropologue au Smithsonian's aux Etats-Unis - et avec Riviale la principale chercheuse sur la question-, semble convaincue que Boban vendait des faux en connaissance de cause et qu'il aurait donc abusé ses acheteurs. D'où vient cette conviction ? Dans un article publié dans Archeology en ami 2008, là-encore pour la sortie du film, elle mentionne une tentative de vente vers 1885 par Boban d'un crâne de cristal au musée de Mexico, qui l'aurait refusé, mais nuance l'assertion en citant sa source, fort peu scientifique : according to local gossip (selon les ragots locaux)! C'est léger, mais cela a été suffisant pour qu'à la sortie du film Boban soit plusieurs ensuite qualifié de douteux dans divers articles de journalistes moins spécialisés consacrés au mythe des crânes de cristal !

Alors il est permis de se demander comment l'homme aurait duré s'il était malhonnête. De plus, c'est le recul historique, et les progrès des techniques d'analyses scentifiques, qui permettent de distinguer les faux des objets authentiques. Et il est beaucoup plus rationnel et logique de postuler que Boban a lui-aussi été victime des faux et des faussaires, comme tous les spécialistes d'une époque, qui découvraient l'art pré-colombien.

Une affaire très récente rappelle à quel point il est facile d'être victime des faux en archéologie : le très respectable Brooklyn Museum of Art vient de révéler que le tiers de ses sculptures coptes antiques d'Egypte, soit de la période chrétienne de ce pays, entre la fin du IV ième siècle et l'invasion arabe en 641- étaient fausses ! Quand au magazine Archeology, qui a donc placé en couverture de son édition de mai 2008 un crâne de cristal - ex-faux artefact pré-colombien depuis lontemps démasqué- du Smithonian, il avait lui-même été abusé au Printemps 1948 par une statue de guerrier étrusque, placé en couverture de son tout premier numéro...