Depuis le 9 octobre, une splendide tête de cheval en bronze est exposée dans un hall de l'hôtel Grand Lisboa de Macau, un palace-casino de l'enclave portugaise en face Hong Kong. Il appartient - comme les autres casinos de Macau- au milliardaire local Stanley Ho. En pré-achetant pour 8,8 M US$ ce bronze le 21 septembre dernier, avant la vente publique à Sotheby's Hong Kong au cours de laquelle il devait être mis aux enchères, Ho a d'abord affirmé son patriotisme pro-chinois, puisque la statue ira au final dans un musée chinois. Mais il a aussi évité une nouvelle tension délicate entre Sotheby's et la Chine, mais aussi entre l'Occident et Beijing. Signe des enjeux qui pesaient sur le sort de l'artefact, le communiqué de Sotheby's cite d'ailleurs l'Administration d'Etat du Patrimoine Culturel de la République du Peuple de Chine : "Nous sommes heureux d'assister au retour de la Tête de Cheval en Bronze après 150 ans d'exil. Nous sommes reconnaissants à Monsieur Ho pour son acte patriotique et remercions Sotheby's pour l'avoir rendu possible".


Gravure de 1783 représentant le Pavillon de la Mer Calme, avec la fontaine à douze têtes

Prix astronomique, affaire d'Etat, pourquoi ce canasson est-il si important ? Parce qu'il s'agit d'une des douzes statues d'une fontaine-horloge du très baroque Pavillon de la Mer Calme du Yuanmingyuan, le Palais d'Eté des empereurs de Chine. Pendant deux heures, tour à tour, chacune des douzes têtes de bronze des douze animaux du zodiac chinois, crachait de l'eau dans le bassin (Le cheval assurait le créneau 11-13h). La fontaine fût fabriquée à la demande de l'Empereur Quianlog (1736-1795) qui fasciné par le baroque européen en commanda le mécanisme en 1747 au Jésuite italien Giuseppe Castiglione et au Père Michel Benoist. C'était l'une des merveilles du fabuleux Palais d'Eté, qu'envahirent les troupes françaises et britanniques en octobre 1860. Le Palais sidéra les Français, comme en témoigne la description fascinée du soldat Aubray du 102ième Régiment d'Infanterie de Ligne, qui a raconté par écrit ses aventures chinoises.


Vue d'ensemble du Yuanmingyuan

Ce qui n'empêcha les troupes françaises de le piller, comme le raconte Aubray : On n’a pas donné l’ordre de piller, mais on le fait en présence des chefs qui ne disent rien. Alors on voit que tout est permis, rien ne nous résiste. La garde de l’infanterie de marine est retirée lorsque ces messieurs ont eu tout ce qu’ils désiraient prendre. Alors tout est public, aucun pavillon n’est consigné à la troupe. Dans tous ces salons, nous sommes comme nos chefs, éblouis pas les diamants, l’or, l’argent, l’ivoire, la jade, la perle fine etc…Ha, malheureux que nous sommes ! Nous n’avons pas eu assez de connaissances de toutes ces choses car si nous avions su apprécier la valeur de tous ces objets, nous aurions ramassé notre fortune au lieu de la fouler aux pieds et pas un soldat de l’armée expéditionnaire n’aurait eu besoin de travailler à son retour en France. Nous ne prenons presque rien, notre ignorance et notre fausse illusion d’aller piller Pékin nous font laisser l’or et l’argent parsemés dans nos camps, nous avions cependant daignés en prendre quelques morceaux en bouleversant les riches ornements de ces salons, si richement parés, mais en levant le camp nous méprisons notre bonheur en laissant éparpillés sur le sol une multitude d’objets qui pouvaient parfaitement faire notre bien-être. A noter qu'à côté du pillage improvisé des troupes, une sélection d'objets précieux furent officiellement pris pour être offert à l'Empératrice Eugénie, femme de Napoléon III, qui dirigeait alors la France. Elle deviendra la collection du Salon chinois du Château de Fontainebleau, et y est toujours. Ce sont finalement les Anglais qui détruisirent le Palais d'Eté, pour éviter que les Chinois ne continuent dans la voie des représailles contre les civils européens. L'effet fut effectivement radical, mais la destruction du Yuanmingyuan restera comme un des drames culturels de l'histoire de l'humanité.

Et les douzes têtes des animaux du zodiaque chinois, direz-vous ? Outre le Cheval, quatre autres têtes ont déjà été retrouvées, et rachetées par l'entreprise d'Etat China Poly Group : le tigre, le cochon, le singe et le boeuf. Selon le communiqué de Sotheby's, le rat et lapin appartiennent à des collections privées européennes. Aucun indice sur l'emplacement actuel et même simplement la survie du serpent, du dragon, du coq, du sanglier et du chien

A lire aussi : un article récent de Rue89 sur le sujet.

Et le blog extraordinaire The Fury of Europeans sur la destruction du Palais d'Eté, avec entre autres, des extraits des récits en français et en anglais des témoins